Récit de vie
Extrait de biographie courte
Noms et lieux modifiés pour raison de confidentialité.
Dans une biographie, l’écrivain doit mettre à disposition ses propres qualités littéraires afin de laisser entendre le plus fidèlement possible la personnalité du narrateur ainsi que sa sensibilité, jusqu’au ton de sa voix.
Jour 1. Naissance.
Nous sommes le 15 Octobre 1992, je m’appelle Marius et je viens au monde aux environs de midi, à l’hôpital d’Aubusson, dans la Creuse. Naturellement, mon arrivée se fait dans la beauté et la douleur, c’est du moins ce dont je témoignerais si j’avais le moindre souvenir de ce moment.
Jour 3 285. Le parfum de l’interdit.
Aujourd’hui je décide d’enfreindre toutes règles auxquelles je suis si justement astreint. Les escapades en vélo et les cabanes ne suffisent plus, je dois découvrir ce que je ne suis ni censé voir, ni censé vivre. Neuf ans, quel bel âge pour goûter à sa première cigarette, aux premiers alcools, au sexe ainsi qu’à la violence. J’irai devant la maison de Madame Pariche tout à l’heure, envoyer quelques pierres sur ses vitres, cela me satisfera. Je deviens défiance et commence à sentir le vertige d’être au monde pour ce qu’il a de plus vicieux, de plus excitant. L’interdit est une odeur dont l’effluve me suit où que j’aille. Elle m’enivre quand je marche en équilibre sur le toit de mon école, elle m’inonde quand je plante un crayon entre les yeux de ma sœur sans motif manifeste, elle anesthésie tous mes tourments quand je fais un croche-patte à Valentin dans la cour de récréation, avant de le voir tomber sur le nez. Je m’abonne à cette odeur, elle habite déjà le centre de ma mémoire olfactive. Je capitule simplement devant elle, je m’incline littéralement. Je suis un monstre derrière mon visage d’ange. Je suis un monstre par-delà la bienséance, la timidité et l’innocence juvénile.
Jour 4 045. L’imaginaire nocturne.
Le collège m’angoisse, je n’y suis pas serein. Il y a trop de monde et ce monde ne me satisfait pas, aucun espace de cette nouvelle cour de récréation ne m’abrite de la stupidité des autres enfants. Je perçois pourtant de la sympathie en chacune de leur individualité, jusqu’au moment où celles-ci se rejoignent. Je n’ai pas d’attrait pour le groupe social. Une drôle de magie opère quand les garçons font société, une magie sombre qui me désole. Je suis plus à l’aise avec les filles de mon âge, je les trouve plus distinguées, plus gentilles. J’ai hâte de me coucher, j’adore me sentir seul et sourd de toute stimulation quand je suis dans mon lit. Alors j’entre dans un monde qui m’appartient, je façonne chaque acte et chaque scène de pièces de théâtres que je m’invente et que j’aimerais voir se dérouler à chaque lendemain. Je tombe amoureux petit à petit, amoureux de l’amour lui-même. L’amour est ma nouvelle exaltation.
Jour 8 030. Drôles de rencontres.
Vincent est mort de froid ce matin, il est toujours préférable de faire un malaise dans sa maison plutôt que devant sa porte d’entrée quand on habite dans les Vosges et qu’il est 02 heures du matin. Il avait 21ans, c’était le seul homme avec qui je me sentais bien. La mort, le deuil, quelles drôles de rencontres. J’ignore pourquoi je ne ressens rien. Mon admission en master a été refusé, je ne continuerai pas mes travaux sur la dynamique des systèmes complexes. L’université ne veut pas de moi, je la quitte. Là aussi, c’est un deuil. La mort appartient au passé, par définition, je tâcherai de faire en conséquence. Je vais m’ouvrir, avoir plus de temps pour moi, pour réfléchir, pour regarder comment tourne le monde. Je deviens la conscience noble qui sommeille en l’humain.
Jour 8 760. Premiers amours.
Je suis à l’accueil d’un centre commercial, mon travail consiste à gérer diplomatiquement les relations entre les commerçants du centre et la direction. Je m’ennuie, je n’ai pas ma place ici. Un homme s’avance vers moi, il ne parle pas français et mon anglais n’est pas excellent. Je comprends qu’il est perdu. Il a fui la guerre, tous ses proches ont été tués ou esclavagisés. Il a laborieusement traversé le continent nord-africain, la méditerranée, les Alpes, et une partie de la France pour se trouver face à moi. Je l’aide comme je peux sur mon temps libre. Je désespère. Je deviens en colère, plus triste encore. Je voulais savoir comment tourne le monde et j’ai eu bien trop de temps pour y réfléchir depuis la fin de mes études. Je renoue avec mes premiers amours, et cette fois pour le bien. La souffrance et l’incompréhension sont partout, elles marchent dans les rues chaque samedi en se tenant la main, et je me pense assez malin pour y changer quelque chose. L’interdit me regagne, il me retrouve après tant d’années, comme un fils injustement déshérité retrouverait son père honteux. Je veux devenir l’enfant de l’illégalité et de la morale. L’insouciance a déserté mais je ne crains plus les temps qui viennent, je crois pouvoir les maitriser. Je n’ai plus peur de l’apocalypse car elle a déjà eu lieu. Ce monde est une vallée dont les terres retournées par la crue regorgent d’or, et je me mets en quête de trouver tout ce qui peut encore émerger de beau.
[ … ]
